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Le soleil de 2055 n'était plus le même. Il frappait la Terre d'une violence aride, sans la tendresse filtrée des jours anciens. Dans les rues de ce qui fut jadis Paris, le bitume craquait sous le poids des convois silencieux, des drones de surveillance bourdonnant comme des mouches fatiguées au-dessus des cités-dômes, refuges climatisés des privilégiés. Dehors, c'était le Grand Jaune, l'étendue poussiéreuse qui s'étirait à perte de vue, là où l'eau avait tiré sa révérence, laissant derrière elle un goût de cendre et de regret.

Élias, son masque anti-poussière vissé sur le nez, ses yeux plissés par la réverbération, scruta l'horizon. Sa peau tannée par des années de vents de sable et de rationnement portait les marques indélébiles de cette nouvelle ère. Il se souvenait à peine des pluies, ces événements quasi mythiques que ses grands-parents décrivaient avec une nostalgie presque obscène. Pour lui, l'eau était une monnaie, une ressource précieuse enfermée dans des cuves scellées, distribuée avec parcimonie par les autorités de la HydrôCorp, le conglomérat qui détenait désormais le monopole de la survie liquide.

Aujourd'hui, il attendait son allocation hebdomadaire au point de distribution du Secteur 7, une file interminable qui serpentait sous les réverbères solaires. Des visages émaciés, des regards éteints. La soif ne se lisait pas seulement dans les gorges nouées, mais dans l'apathie générale, cette résignation qui avait gagné les cœurs.

Soudain, une mélodie stridente déchira le silence. C'était la sonnerie d'un vieux communicateur à silicium, celui que sa grand-mère, Léa, n'avait jamais voulu abandonner. Élias le sortit de sa poche, un frisson d'appréhension le parcourant. Léa était la gardienne de la mémoire familiale, une mémoire étrangement liée à une phrase énigmatique.

— Élias, sa voix grésillait, affaiblie par l'âge et la poussière. Tu as entendu la rumeur ? Ils parlent de sécheresse historique, même dans les dômes. Le rationnement va s'intensifier.

Élias serra les poings. La nouvelle n'était pas une surprise, mais elle sonnait le glas de l'espoir.

— Oui, Grand-mère. On le sent. C'est partout pareil.

— Mais tu sais, Élias, reprit Léa, sa voix reprenant une force inattendue, il y a quelque chose… quelque chose qui me revient sans cesse. Tu te souviens de ce que je te racontais sur l'ancien temps ? Avant que l'eau ne devienne un fantôme ?

Élias hocha la tête, même si elle ne pouvait pas le voir. Il connaissait par cœur ses histoires, ses souvenirs d'une époque luxuriante, d'un monde où l'eau coulait à flots. Et surtout, il connaissait cette phrase, murmurée comme un secret, une prophétie absurde mais qui, au fil des ans, avait acquis une pertinence glaçante.

— Je parle de la légende, Élias. De l'homme. L'homme aux muscles. Celui qui a dit : "J'adore l'eau, dans 20-30 ans il n'y en aura plus." Et il l'a dit en 2010, Élias !

Le nom de Jean-Claude Van Damme, souvent prononcé avec un mélange de révérence et d'incrédulité, résonna dans l'esprit d'Élias. Dans ce monde assoiffé, le "Muscles from Brussels" était devenu une figure presque mythique, un oracle involontaire dont la phrase, jadis moquée, était désormais citée comme une preuve de prescience.

— Oui, Grand-mère, je me souviens. Mais ce n'est qu'une vieille histoire…

— Une vieille histoire qui est devenue notre réalité, Élias ! coupa-t-elle avec une passion retrouvée. Ce n'est pas une coïncidence. Il savait. D'une manière ou d'une autre, il savait. Et je crois… je crois qu'il y a plus à découvrir. Mon père, il avait des archives. Des cassettes vidéo, des journaux… Il disait que cet homme était bien plus qu'un simple acteur. Il disait qu'il y avait un message caché dans ses mots, une sorte de… de vérité oubliée.

Élias laissa échapper un soupir. Léa, avec ses obsessions pour le passé, ses reliques d'un monde disparu, était souvent difficile à suivre. Mais aujourd'hui, sa voix avait une urgence nouvelle.

— Qu'est-ce que tu veux dire, Grand-mère ?

— Je veux que tu retrouves ces archives. Mon père les a cachées quelque part, dans notre ancien appartement. Avant que le Grand Jaune ne le submerge. Il y a peut-être des indices. Un écho. Un écho de… de ce qu'on a perdu.

Élias regarda la file d'attente qui avançait lentement, chaque personne un pas de plus vers sa maigre ration. Il était un survivant, pas un chasseur de trésors du passé. Pourtant, quelque chose dans la conviction de Léa, dans la résonance étrange de cette phrase de JCVD, le piqua au vif. Et si la réponse à leur désolation collective se trouvait dans les mots d'un acteur de films d'action, prononcés il y a des décennies ?

— Où ça, Grand-mère ? murmura-t-il, un soupçon d'aventure se mêlant à son habituelle résignation. Où sont ces archives ?

Le silicium de l'appareil grésilla, et un rire rauque mais vibrant parvint à Élias.

— Au cœur du Grand Jaune, mon garçon. Là où tout a commencé à mourir.

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