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Le silence planait sur la place de l'Enclave 7, épais et lourd comme le smog persistant qui masquait le soleil. Il n'était rompu que par le vent sifflant à travers les carcasses métalliques des anciens bâtiments, et le léger frottement des robes usées des habitants, rassemblés comme chaque année pour le Jour du Tirage. J'étais là aussi, Lyra, mes pieds ancrés dans la poussière, le cœur battant la chamade contre mes côtes. Mes doigts serraient le tissu râpé de ma tunique, une vieille habitude pour contenir la nervosité qui menaçait de me submerger.
Devant nous, la scène était dressée : une estrade rudimentaire, faite de planches récupérées, surmontée d'un podium où trônait la grande urne de verre. Ses reflets ternes renvoyaient les visages pâles de la foule, des visages marqués par la faim et l'incertitude. À côté de l'urne, l'effigie de l'Autorité nous observait, son regard vide et inquisiteur, rappelant à tous qui était le maître de nos destinées.
Un murmure parcourut l'assemblée à l'apparition du Délégué Theron. Il était le visage de l'Autorité dans notre Enclave, un homme au teint cireux et aux yeux froids. Sa voix, amplifiée par un appareil grésillant, résonna dans le silence. « Habitants de l'Enclave 7, » commença-t-il, un sourire condescendant étirant ses lèvres fines, « nous nous réunissons aujourd'hui pour honorer la tradition sacrée des Jeux du Sacrifice. Une tradition qui assure notre paix, notre stabilité, notre survie. »
Mon regard glissa vers ma petite sœur, Elara, debout à quelques pas de moi, son petit visage anxieux levé vers l'estrade. Ses mains étaient serrées autour de la manche de ma mère, qui tentait de lui offrir un sourire rassurant. Elara n'avait que dix ans, son nom ne figurait pas encore sur les listes des tirés au sort. Mais la peur, une bête rampante et insidieuse, s'insinuait en chacun de nous, même chez les plus jeunes. Elle attendait, tapie, que le nom d'un être cher soit prononcé.
Theron continua son discours, une litanie creuse sur la grandeur de l'Autorité et le sacrifice nécessaire pour le bien commun. Je l'avais entendu des dizaines de fois, comme tous ceux présents. Nos espoirs ne reposaient pas sur ses paroles, mais sur le hasard cruel qui allait décider de la vie ou de la mort de deux des nôtres. Un garçon. Une fille. Jetés en pâture aux Jeux, à la merci des autres Enclaves et des dangers de l'Arène.
Enfin, il s'approcha de l'urne. Mon souffle se coupa. L'air devint plus froid, le silence plus pesant. Il plongea sa main à l'intérieur, remuant les milliers de noms sur des parchemins roulés. Chaque nom représentait une vie, un rêve, une famille.
Il en retira un. Mes yeux étaient fixés sur le papier. Il le déroula lentement, le suspens insoutenable s'étirant comme une corde prête à se rompre.
« Le tribut masculin de l'Enclave 7 est… Kael de la Fonderie. »
Un soupir collectif de soulagement traversa la foule, mêlé à quelques sanglots étouffés. Kael. Je connaissais Kael, un jeune homme robuste, mais un peu renfermé. Il s'avança, le visage blême mais le port altier, et monta sur l'estrade. Ses yeux balayèrent la foule, un mélange de défi et de résignation.
Puis vint le moment le plus redouté. Le Délégué Theron replongea sa main dans l'urne, cette fois-ci pour le tribut féminin. Mon cœur cogna si fort que je pouvais l'entendre dans mes oreilles. Je fermai les yeux un instant, priant silencieusement pour que ma mère, ma tante, ou n'importe qui d'autre, soit épargnée.
La voix de Theron résonna à nouveau, cette fois-ci plus forte, presque jubilatoire.
« Et le tribut féminin de l'Enclave 7 est… Lyra de la Carrière ! »
Mon monde vacilla. Le nom, mon nom, résonna dans le vide, une onde de choc qui pulvérisa tout sur son passage. Lyra. Je ne pouvais pas croire ce que j'entendais. Ce n'était pas possible. Je regardai ma mère, son visage horriblement pâle, ses lèvres tremblantes. Elara, les yeux ronds de terreur, me fixait.
Un silence assourdissant suivit l'annonce, avant que les regards ne se tournent vers moi, des regards emplis de pitié, de curiosité, et de ce soulagement impitoyable que l'on ressent quand on n'est pas le choisi. Je me sentais flotter, mes jambes refusant de me porter. Mais une force étrange, une résignation glaciale, me poussa à avancer.
Chaque pas vers l'estrade était une torture, un adieu silencieux à tout ce que je connaissais. Je montai les marches, la tête haute, même si mes entrailles se tordaient. En arrivant près de Theron, je croisai le regard de Kael. Ses yeux, d'un bleu intense, exprimaient une compréhension muette, un destin partagé.
Theron me sourit, un sourire faux et triomphant. « Bienvenue aux Jeux du Sacrifice, Lyra. Que les chances soient toujours en votre faveur. »
Ces mots, la devise même des Jeux, me traversèrent comme une lame froide. Je savais que dans l'Arène, les chances n'étaient jamais en faveur de personne. Surtout pas de nous, les sacrifiés. Mais en cet instant, une étincelle de rébellion, infime mais tenace, s'alluma au plus profond de moi. Si je devais mourir, je ne mourrais pas en silence.
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